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Tout commence par un lieu, un lieu privilégié et sauvage, un lac perdu en Haute-Mauricie. Voici l'espace que la poésie vient habiter. Ces premiers lieux-dits appartiennent au lac, aux vacances, à l'été. Mais le bel été du jeune âge s'évanouit au sortir de l'enfance. Première fissure. C'est l'été interdit.
Je parcourais l'été
j'en portais
les couleurs la brûlure
À peine née du matin
la lumière vibrait dans l'air
abeille fébrile
Je redoutais la bête de chaleur
déjà tapie au creux des pentes
elle bondirait et s'agripperait à mes tempes
J'attendais l'apaisement des crépuscules
je souhaitais mon ombre violette démesurée
perdue dans le soir
seule et longue
et bue par les fossés profonds
Je parcourais l'été
j'en portais en vain les signes
Mais sous mes pas dans l'herbe
sous l'argile d'ocre tiède
je pressentais la pierre grise et nue
je savais le coeur de la terre gelé dur
Et l'été me restait interdit
Des années plus tard, le recueil Poreuses frontières reprend quelques-uns des thèmes de L'été interdit.
À l'origine, le sentiment de plénitude que peut donner une intense présence au monde. Et en même temps un manque d'être, l'impression d'une fracture douloureuse entre soi et le monde. Comment réentendre la musique secrète de l'univers, pressentie si spontanément dans l'enfance ? Comment sortir de nos existences enfermées dans des bornes de plus en plus étroites ? Seul le rêve ouvre les frontières.
Rendre la parole à un matin d'enfance, endormi au bord du lac. Les premiers mots, bruits d'eau résonnent au fond de la baie Ronde, de la rivière Noire à la rivière aux Rats, de la décharge à la tête du lac, et par des passes traîtresses il me faut revenir, encerclée par la vie des fougères, soudain envahie par le rêve de dire.
Dire la toute-puissance de ce jour
Le poème à venir fera tranquillement son chemin, traversera l'enfance, s'écrira dans le présent d'un autre jour, au hasard d'une rencontre.
Tu lis lentement. Le poème prend peu à peu sa place. Et toi aussi, tu prends forme et couleur. Tu nais de ces lignes très simples, lues un soir d'automne. Une énergie subtile circule de ton corps vers le mien. Aucun geste.
Le poème s'ouvre, vase mystérieux libérant l'inconnu.
Le rêve se poursuit avec Calendrier des terres froides. C'est un rêve qui traverse l'histoire, celui de la découverte du passage du Nord-Ouest.
Un calendrier qui couvre des millénaires, l'intime et le cosmique emmêlés. Comme s'intègre l'oeuvre d'art au paysage, voici une histoire d'amour mariée aux terres nordiques. Ici, aimer est lié à la quête des origines, au lieu à l'histoire humaine et planétaire.
- Andrée Lacelle, directrice littéraire, écrivaine.
Dans ce recueil, la poésie emprunte au lexique de l'art un nouveau langage. Car les images qui ont surgi au cours du processus d'écriture sont nées dans un premier temps de la peinture. Plus précisément de la peinture sur fibres, dont témoignent les oeuvres de la série Taïga.
D'abord simple ligne
Mince ruisseau de graphite
Tu me parcourras
Des noirs sortiront du feu
Des salissures
Pour la longue trouée des brûlis
Je dessine une forêt
Le rêve se poursuit avec Calendrier des terres froides. C'est un rêve qui traverse l'histoire, celui de la découverte du passage du Nord-Ouest.
Diffusion: kevinjohnston.ca@gmail.com
Ici le rêve est une fuite, une échappatoire à la routine étouffante. Les personnages de ces nouvelles dont certains réapparaissent d'un récit à l'autre, craignent de passer à côté de quelque chose d'essentiel, de rater leur vie. Combleront-ils les manques, réaliseront-ils l'inaccompli ? Et s'ils partent, où les conduira ce désir de se dépayser, de tout laisser derrière eux ? Près du fleuve de leur enfance où, hasard ou destin, ils retrouveront des amours de jeunesse.
Les îles s'étalaient devant ses yeux, basses, longues avec des contours flous. Elles s'étiraient, paresseuses, toute nimbées de la lumière du matin. On n'était pas sûr de leur présence, de leur réalité. Elles ne semblaient pas posées sur l'eau, mais suspendues quelque part entre ciel et mer. À les contempler si longtemps, on n'était sûr de rien. Mirage ? Illusion ? Désir de les voir apparaître ?
Et derrière ces îles, c'étaient les montagnes de l'autre rive. Plus loin encore, plus haut, la forêt boréale, les rivières bondissantes, le Nord.
D'autres montagnes et leurs secrets.
Le recueil suivant, Sortir du cadre, reprend et approfondit la démarche de Calendrier des terres froides, alliant art et écriture.
Écoutez l'entrevue donnée en juillet 2011 à Radio-Canada, au sujet de Sortir du cadre.
Commentaire de l'éditeur :
Sortir du cadre est d'abord à prendre au sens littéral : les palettes de couleurs, les textures et les formes s'ouvrent sur le réel. L'espace pictural et l'écriture façonnent, à travers ces nouvelles, un monde surprenant où la vie, inspirée ou issue de l'oeuvre d'art, n'a plus tout à fait le même sens.
Commentaire du jury :
Dans une écriture précise et affinée, ces nouvelles revisitent le genre «en sortant du cadre habituel» pour donner à voir l'existence de personnages atypiques sous un prisme de couleurs inattendues.
Au-dessus du buffet, les pommes de Chardin rutilent. Le maître promène son regard dans le nouvel espace qu'il vient d'agencer. La pomme du milieu reçoit la pleine lumière. Elle n'est pas posée sur la table de la même manière que les deux autres. En réalité, cette pomme ne s'appuie pas sur ses voisines, elle est seule à l'avant-plan à affronter le vide. J'aurais dû m'en rendre compte plus tôt.
Sortir du cadre c'est aussi une manière de s'affranchir des conventions et d'explorer l'ailleurs.
Partir.
La chèvre de monsieur Séguin s'est échappée de son enclos, et tant pis ! Le surveillant de Daudet s'est enfui du collège. Gisèle, la vraie, a dévalé les escaliers de l'école, ouvert la porte au printemps.
Partir.
La période de silence est terminée. Les élèves sortent pour la récréation.
Dans son porte-documents d'enseignante, elle tâte la lettre qu'elle remettra tout à l'heure à la directrice. Une lettre écrite tôt ce matin et qui commence aussi par cinq mots, cinq petits coups brefs : « Ne m'attendez pas en septembre.
Le bruit sourd des glaces nous plonge au cœur de l’histoire récente du Québec, de la Crise d’Octobre au Printemps érable. Le fleuve Saint-Laurent y devient le lieu du rêve et la métaphore des méandres du temps et de la mémoire.
Printemps 1968 – Un attentat perpétré par de jeunes révolutionnaires cause la mort d’un innocent. Un an plus tard, un homme se jette du traversier entre Lévis et Québec, dans les eaux glacées du Saint-Laurent. Ce suicide dont la narratrice Monique est témoin et la mort de sa meilleure amie, dans des circonstances étranges pendant le festival country de Saint-Tite, vont la hanter longtemps. Plus tard, Monique fera des rencontres qui jetteront un éclairage nouveau sur ces drames et viendront changer le cours de sa vie.
À la hauteur de Québec, l’hiver, les glaces flottantes sont ballottées sans fin sur le fleuve. De décembre à mars, elles glissent lentement d’amont en aval, d’aval en amont. C’est le flux et le reflux des marées. Il m’est arrivé souvent d’observer cette oscillation lorsque je me tenais près de l’embarcadère. Un balancement qui s’inscrit dans la mémoire du corps, tout comme les traversées entre les deux rives, le va-et-vient quotidien de ceux qui habitent en face de la vieille capitale.
Quelque part dans le temps, c’est l’été. Deux fillettes, debout sur le pont du traversier, se tournent vers l’objectif. La plus jeune porte un béret bien calé sur le front, on ne voit que des fentes pour les yeux et la rondeur des joues. L’aînée, d’un geste coquet de la main, tente de lisser ses cheveux ébouriffés par le vent. Ma mère a lancé nos noms à la volée et, l’instant d’après, nos traits légèrement brouillés se sont imprimés sur la pellicule. Puis elle a changé d’angle et, assise sur ses talons pour mieux nous cadrer, elle a pris une deuxième photo. Sous mon béret enfoncé jusqu’aux sourcils, je fixe le visage de ma mère masqué par le rectangle noir du Kodak. Derrière son dos se dresse la rambarde et, au loin, la massive architecture du pont de Québec. Ma sœur s’est réservé la plus réussie des deux photos. Moi, j’ai hérité de la plus floue. Mais j’aime cette imprécision de l’image qui ne nous fige pas dans un moment du passé, nous rend en quelque sorte intemporelles.
Pas un souffle de vent sur le lac. Parce que tout est parfaitement silencieux, je ressens soudain quelque chose qui ressemble à de la peur. Un sentiment nouveau, jamais éprouvé depuis que je passe l’été au chalet.
Le silence encercle ma colline de granite, se pose lourdement à sa cime, enveloppe le chalet et la véranda, le silence descend, c’est une gangue, c’est un bâillon sournois et pour ne pas étouffer je me mets à parler au chat, je lui dis n’importe quoi au chat, pourvu que des mots franchissent mes lèvres, pourvu que des paroles résonnent quelque part entre la lisière du bois et le lac, à défaut d’un croassement, d’un sifflement, d’un gazouillis. À défaut d’un appel qui creuserait un pli, un trou minuscule dans l’étoffe pesante du silence.
Je n’entends rien d’autre que le battement du sang à mes tempes, le battement de mon sang est pareil au tumulte de la rivière souterraine qui coule sous le sentier. Je n’écoute que ce torrent qui m’emplit les oreilles, peut-être est-ce pour ça qu’un bruit de pierres heurtées ne me parvient pas distinctement, que la vibration de la terre m’est imperceptible, cette terre poreuse du sentier qui résonne comme un tambour sous les pas.
Quand je relève la tête, je sais que nous ne sommes plus seuls. Entre le chat et moi s’est glissé un élément étranger, je ne sais encore quoi, mais le chat le sait, lui, qui dresse les oreilles, s’achemine lentement vers la porte latérale du chalet.
Il n’y a plus maintenant qu’une auréole jaune au-dessus de la colline, une couronne de lumière dont j’admire l’absurde perfection avant qu’elle ne s’efface, tandis que se découpe dans un reste de clarté, une ombre sortie de l’ombre, une ombre humaine qui s’avance vers le chalet où je n’ai rien allumé, comme si la lueur d’une chandelle ou d’une lampe à huile avait le pouvoir d’attirer un être malfaisant.
Union des écrivaines et écrivains québécois. (UNEQ)
Association des auteurs de la Montérégie. (AAM)
Textes & contenu : Claire Boulé © Tous droits réservés.
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